Le rapport de la BM se penche sur la persistance et la gravité de la pénurie d’eau dans la région Mena. Il se sert d’outils de l’économie publique pour décrire deux problèmes majeurs auxquels sont confrontés les Etats de la région, à savoir le défaut de légitimité et le manque de confiance.
Les stratégies actuelles, qui visent principalement à investir massivement dans les infrastructures et le dessalement, ne sont viables ni sur le plan financier ni sur le plan environnemental. C’est pourquoi des réformes sont nécessaires pour faire en sorte que les institutions en place assurent une meilleure gestion de l’attribution des ressources en eau au regard des besoins concurrents.
Partant de ce besoin et de cette nécessité, la Banque mondiale vient de publier un rapport intitulé « Aspects économiques de la pénurie d’eau au Moyen-Orient et en Afrique du Nord : Solutions institutionnelles », qui souligne la gravité de la situation de l’eau dans la région en général et propose des suggestions sur les réformes institutionnelles potentielles.
Renégocier le contrat social
Les solutions face à cette situation alarmante consistent notamment en un transfert de pouvoirs plus important aux autorités locales, ce qui conférerait davantage de légitimité aux arbitrages difficiles autour de l’utilisation de l’eau que des décisions par le haut.
Le document souligne que l’octroi d’une plus grande autonomie aux entreprises de services d’eau pour qu’elles puissent se rapprocher de leurs clients et les informer des changements de prix pourrait par ailleurs permettre de mieux faire accepter et respecter les structures tarifaires, et donc limiter les risques de contestations et de troubles publics. Ce type de réformes pourrait aider les gouvernements à renégocier le contrat social avec les populations de la région Mena et renforcer la légitimité de l’Etat ainsi que la confiance dans sa capacité à mieux gérer la pénurie d’eau.
Toujours selon le rapport publié, la région Mena est confrontée à une pénurie d’eau sans précédent, et face à cette situation, les agriculteurs et les villes sont en concurrence pour les ressources en eau, poussant les systèmes hydriques au bord de la rupture.
Parlons chiffres, comme déjà cité, d’ici 2030, les ressources en eau disponibles par an et par habitant dans la région Mena tomberont sous le seuil de pénurie absolue de 500 mètres cubes par personne et par an. Par ailleurs, la pénurie d’eau deviendra plus aiguë à mesure que la population augmentera. Celle-ci est passée dans la région d’un peu plus de 100 millions d’habitants en 1960 à plus de 450 millions en 2018. Elle devrait dépasser 720 millions d’ici 2050.
4 types de pays
Les vieux pays déficitaires en eau— ceux qui sont en dessous du seuil absolu de pénurie d’eau — sont les plus urbanisés de la région, avec des prélèvements d’eau par habitant plus faibles, car ils sont moins tributaires des moyens de subsistance ruraux à forte intensité d’eau. Cependant, la plupart d’entre eux sont, par ricochet, fortement dépendants des importations de céréales pour plus de 80 % de leurs besoins.
Quant aux pays à revenu élevé de ce groupe, ils ont dépensé massivement dans les sources d’eau non conventionnelles (dessalement et réutilisation des eaux usées), dans le but «d’affranchir» leurs besoins en eau des restrictions écologiques qu’imposent les sources en eau renouvelables.
Alors que pour les pays à revenu intermédiaire de ce groupe, ils ont commencé à investir dans l’eau non conventionnelle et entrevoient déjà les conséquences budgétaires du dessalement de l’eau, de son transfert vers les centres de demande, puis du traitement des eaux usées à des fins agricoles.
S’agissant des pays fragiles de ce groupe, ils dépendent fortement de l’aide pour les infrastructures d’approvisionnement et pour l’exploitation ainsi que l’entretien des systèmes d’alimentation en eau et d’égout.
Des institutions centralisées et technocratiques
Sur un autre plan, le rapport souligne que les institutions en place qui gèrent l’attribution des ressources en eau au regard de tous les besoins concurrents— en particulier entre l’agriculture et les villes— sont fortement centralisées et technocratiques, ce qui limite leur capacité à opérer des arbitrages en matière d’utilisation de l’eau au niveau local.
A cet égard, des réformes sont nécessaires pour accroître l’autonomie et décentraliser les décisions concernant la gestion de l’eau et la prestation de services. Le rapport soutient qu’une plus grande délégation de pouvoir aux autorités représentatives locales en matière de répartition de l’eau, et ce, dans le cadre d’une stratégie nationale de l’eau, pourrait légitimer des décisions difficiles, contrairement à des directives imposées par des ministères éloignés du terrain.
La BM recense à cet égard une série de réformes institutionnelles devant viser les agences nationales et les services publics de l’eau et propose de déléguer la prise de décision sur l’attribution de l’eau à des administrations représentatives à l’échelle locale, ce qui aiderait la région à faire face aux problèmes d’eau et à les surmonter.
Mais indépendamment de toute réforme formelle, les efforts que font les pouvoirs publics pour renforcer la légitimité et la confiance sont essentiels pour la région Mena. C’est la voie par laquelle les sociétés peuvent parvenir à de meilleurs résultats et attirer des financements à long terme pour investir dans des infrastructures durables permettant de garantir la sécurité hydrique.
Au bout du compte, il faut des ressources financières pour construire et entretenir des infrastructures hydrauliques. Et ces ressources, qu’elles proviennent du budget interne, des partenaires extérieurs ou du secteur privé, dépendent de la capacité de l’Etat à couvrir les coûts par les redevances hydrauliques et d’autres recettes publiques, ce qui permet de résoudre le problème de «l’engagement» réglementaire.
Deux problèmes cruciaux
À ce niveau, le document de l’institution financière aborde deux problèmes cruciaux: le défaut de légitimité et le manque de confiance.
Les données tirées de l’Enquête mondiale sur les valeurs montrent que les habitants de la région estiment que l’une des principales fonctions de l’Etat est de maintenir les prix à un niveau bas et que les pouvoirs publics hésitent à augmenter les tarifs en raison du risque de protestations généralisées. Le transfert de pouvoirs plus importants sur les décisions d’attribution de l’eau à des administrations locales représentatives dans le cadre d’une stratégie nationale de l’eau conférerait davantage de légitimité aux arbitrages difficiles autour de l’utilisation de l’eau que des directives émanant des administrations centrales.
L’octroi d’une plus grande autonomie aux services publics de l’eau, pour communiquer avec les clients sur les modifications tarifaires, pourrait également permettre à ces clients de mieux respecter les structures tarifaires, réduisant ainsi le risque de protestations et de troubles publics.
Par ailleurs, la confiance dans le secteur de l’eau peut apparaître comme la raison fondamentale de la difficulté à réformer les services d’eau—qu’il s’agisse de réviser les tarifs pour couvrir les coûts d’exploitation, de réduire les fuites et le gaspillage d’eau (eau non facturée) ou d’attirer des financements à long terme pour construire des infrastructures. Ces concepts de légitimité et de confiance, qui peuvent sembler abstraits, ont des répercussions réelles sur les questions économiques les plus urgentes qui interpellent non seulement les dirigeants de la région Mena, mais aussi les marchés financiers mondiaux.
Le rapport constate donc un manque de légitimité pour faire respecter les réglementations relatives aux prix et aux volumes afin de pallier les externalités négatives de la consommation d’eau, un manque de confiance des organismes du secteur public en la volonté des homologues/autres acteurs à trouver des moyens innovants d’améliorer les résultats malgré les obstacles existants et un manque de confiance des millions d’utilisateurs de l’eau (ménages ou exploitations agricoles) par rapport au respect des règles (paiement de l’eau et/ou respect des quotas).
Ainsi, la réforme de la gestion des services d’eau pourrait contribuer à renforcer la confiance dans la capacité des organismes publics à gérer des financements à long terme au profit des infrastructures hydrauliques, en fournissant des services fiables, en réduisant les déchets et les fuites, et en générant des recettes permettant d’assurer le service de la dette à long terme.
Pour une meilleure communication
Pour que les réformes institutionnelles soient couronnées de succès, il faut une meilleure communication sur la pénurie d’eau et les stratégies nationales de l’eau. Dans des pays comme le Brésil et l’Afrique du Sud, les efforts de communication stratégique ont accompagné les réformes visant à réduire la consommation d’eau. Dans la ville du Cap, par exemple, les autorités municipales partageaient un « tableau de bord de l’eau », qui donnait des informations hebdomadaires sur la consommation totale d’eau dans la ville alors qu’elle approchait du « jour zéro » (moment où les ressources en eau devaient être totalement épuisées).
Cette transparence de la part des élus locaux a persuadé les habitants de l’urgence de la situation et les a rendus plus susceptibles de se conformer aux restrictions.
En résumé, ces réformes institutionnelles pourraient aider les gouvernements à renégocier le contrat social avec les populations de la région Mena. Plutôt que de fixer les tarifs de l’eau et de réglementer l’utilisation de cette ressource par des directives « verticales », déléguer plus de pouvoirs aux organismes techniques de gestion des ressources en eau, aux services publics et aux collectivités locales pourrait renforcer la légitimité de l’Etat ainsi que la confiance dans sa capacité à gérer la pénurie d’eau.
Montygo
22 mai 2023 à 13:55
Si tous ces braves gens de la Banque Mondiale qui nous inondent (un comble) de rapports sur la sécheresse qui sévit, ne cessent pas de nous arroser (encore un comble) avec des « il n’y a qu’à.. » ou « il faudrait que… » où « des solutions existent, mais… »
Si ces âmes charitables, biens calées dans de confortables fauteuils, pataugeant (encore un autre comble) dans leurs innombrables solutions, allaient voir sur place de quoi il en est et évalueraient de manière précise les besoins à mettre en œuvre dans telle ou telle configuration régionale, on aurait évité sécheresses et inondations et on aurait sans doute trouvé les moyens pour que les secondes catastrophes viennent, par équilibre, compenser les premières.